lundi 7 novembre 2011









Vagabondage

"Un droit que bien peu d'intellectuels se soucient de revendiquer, 'cest le droit à l'errance, au vagabondage.
Et pourtant, le vagabondage, c'est l'affranchissement, et la vie des routes, c'est la liberté.
Rompre un jour bravement toutes les entraves dont la vie moderne et la faiblesse de notre coeur, sous prétexte de liberté, ont chargé notre geste, s'armer du bâton et de la besace symboliques, et s'en aller!
Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on est libre que tant qu'on est seul), l'acte de s'en aller est le plus courageux et le plus beau. Egoiste bonheur, peut-être. Mais c'est le bonheur, pour qui sait le goûter.


Etre seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde.
Le chemineau solide, assis sur le bord de la route, et qui contemple l'horizon libre, ouvert devant lui, n'est il pas le maître absolu des terres, des eaux et même des cieux?
Quel châtelain peut rivaliser avec lui en puissance et en opulance?
Son fief n'a pas de limites, et son empire pas de loi.
Aucun servage n'avilit son allure, aucun labeur ne courbe son
échine vers la terre qu'il possède et qui se donne à lui, toute, en bonté et en beauté.

Le paria, dans notre société moderne, c'est le nomade, le vagabond, "sans domicile ni résidance connu".
En ajoutant ces quelques mots au nom d'un irregulier quelquonque, les hommes d'ordre et de loi croient le flétrir à jamais.
Avoir un domicile, une famille, une propriété ou une fonction publique, des moyens d'existance défini, être enfin un rouage appréciable de la machine sociale, autant de choses qui sembles nécessaires, indispensables presque à l'immense majorité des hommes, même aux intellectuels, même à ceux qui se croient le plus affranchis.
Cependant, tout cela n'est que la forme variée de l'esclavage auquel nous astreint le contact avec nos semblables, surtout un contact réglé et continuel.
J'ai toujour écouté avec admiration, sans envie, les récits de braves gens ayant vécu des vingt et trente ans dans le même quartier, voire dans la même maison, qui n'ont jamais quitté leur ville natale.

Ne pas éprouver le torturant besoin de savoir et de voir ce qu'il y a là-bas, au -dela de la mystérieuse muraille bleue de l'horizon...
Ne pas sentir l'oppression déprimante de la monotonie des décors.... Regarder la route qui s'en va toute blanche, vers les lointains inconnus, sans ressentir l'imperieux besoin de se donner à elle, de la suivre docilement, à travers les monts et les vallées, tout ce besoin peureux d'immobilité, ressemble à la résignation inconsciente de la bête, que la servitude abruti, et qui tend le cou vers le harnais.

A toute propriété, il y a des bornes. A toute puissance, il y a des lois. Or, le chemineau possède toute la vaste terre dont les limites sont l'horizon irréel, et son empire est l'intangible, car il le gouverne et en jouit en esprit."



ISABELLE EBERHARDT
"Ecrit sur le sable"

4 commentaires:

  1. Eh bien, ça fait réfléchir, douter et penser à

    'J'ai vévu au monde
    et j'ai vu ce que nous sommes,
    mais nul ne peut se dire
    de se passer des hommes!'

    [si je ne me trompe pas c'est de Victor Hugo]
    Bises

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  2. vagabonder dans sa tête,aussi...belle photo!

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  3. Auch wenn ich mich nur zu den Fotos äussern kann: wunderbares Vagabundentum!

    Liebe Grüsse,
    Brigitte

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